Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/433

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CINNA.

On ne les sent aussi que quand le coup approche,
Et l’on ne reconnoît de semblables forfaits
Que quand la main s’apprête à venir aux effets.
L’âme, de son dessein jusque-là possédée, 825
S’attache aveuglément à sa première idée ;
Mais alors quel esprit n’en devient point troublé ?
Ou plutôt quel esprit n’en est point accablé ?
Je crois que Brute même, à tel point qu’on le prise[1],
Voulut plus d’une fois rompre son entreprise, 830
Qu’avant que de frapper elle lui fit sentir[2]
Plus d’un remords en l’âme, et plus d’un repentir.

MAXIME.

Il eut trop de vertu pour tant d’inquiétude ;
Il ne soupçonna point sa main d’ingratitude,
Et fut contre un tyran d’autant plus animé835
Qu’il en reçut de biens et qu’il s’en vit aimé.
Comme vous l’imitez, faites la même chose,
Et formez vos remords d’une plus juste cause,
De vos lâches conseils, qui seuls ont arrêté
Le bonheur renaissant de notre liberté.840
C’est vous seul aujourd’hui qui nous l’avez ôtée ;
De la main de César Brute l’eût acceptée,
Et n’eût jamais souffert qu’un intérêt léger
De vengeance ou d’amour l’eût remise en danger.
N’écoutez plus la voix d’un tyran qui vous aime, 845
Et vous veut faire part de son pouvoir suprême ;
Mais entendez crier Rome à votre côté :
« Rends-moi, rends-moi, Cinna, ce que tu m’as ôté ;
Et, si tu m’as tantôt préféré ta maîtresse,
Ne me préfère pas le tyran qui m’oppresse. » 850

  1. Var. Je crois que Brute même à quel point on le prise. (1643-56)
  2. Var. Et qu’avant que frapper elle lui fit sentir. (1643-63)