Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/454

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ÉMILIE.

Que de sujets de craindre et de désespérer,
Sans que mon triste cœur en daigne murmurer !
À chaque occasion le ciel y fait descendre
Un sentiment contraire à celui qu’il doit prendre :
Une vaine frayeur tantôt m’a pu troubler[1], 1295
Et je suis insensible alors qu’il faut trembler.
Je vous entends, grands Dieux ! vos bontés que j’adore
Ne peuvent consentir que je me déshonore ;
Et ne me permettant soupirs, sanglots, ni pleurs,
Soutiennent ma vertu contre de tels malheurs. 1300
Vous voulez que je meure avec ce grand courage
Qui m’a fait entreprendre un si fameux ouvrage ;
Et je veux bien périr comme vous l’ordonnez,
Et dans la même assiette où vous me retenez.
Ô liberté de Rome ! ô mânes de mon père ! 1305
J’ai fait de mon côté tout ce que j’ai pu faire :
Contre votre tyran j’ai ligué ses amis,
Et plus osé pour vous qu’il ne m’étoit permis.
Si l’effet a manqué, ma gloire n’est pas moindre ;
N’ayant pu vous venger, je vous irai rejoindre, 1310
Mais si fumante encor d’un généreux courroux,
Par un trépas si noble et si digne de vous,
Qu’il vous fera sur l’heure aisément reconnoître[2]
Le sang des grands héros dont vous m’avez fait naître.


Scène V.

MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.
ÉMILIE.

Mais je vous vois, Maxime, et l’on vous faisoit mort !

  1. Var. Une vaine frayeur m’a pu tantôt troubler. (1643-56)
  2. Var. Que d’abord son éclat vous fera reconnoître. (1643-56)