Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/469

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Et ne put négliger le bras qui la vengeoit :
Elle n’a conspiré que par mon artifice ;
J’en suis le seul auteur, elle n’est que complice.

ÉMILIE.

Cinna, qu’oses-tu dire ? est-ce là me chérir,
Que de m’ôter l’honneur quand il me faut mourir ?1640

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire.

ÉMILIE.

La mienne se flétrit, si César te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, si vous tirez à vous
Toute celle qui suit de si généreux coups.

ÉMILIE.

Eh bien ! prends-en ta part, et me laisse la mienne ;1645
Ce seroit l’affoiblir que d’affoiblir la tienne :
La gloire et le plaisir, la honte et les tourments,
Tout doit être commun entre de vrais amants.
Nos deux âmes, Seigneur, sont deux âmes romaines ;
Unissant nos désirs, nous unîmes nos haines ;1650
De nos parents perdus le vif ressentiment
Nous apprit nos devoirs en un même moment ;
En ce noble dessein nos cœurs se rencontrèrent ;
Nos esprits généreux ensemble le formèrent ;
Ensemble nous cherchons l’honneur d’un beau trépas :1655
Vous vouliez nous unir, ne nous séparez pas.

AUGUSTE.

Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide,
Et plus mon ennemi qu’Antoine ni Lépide :
Oui, je vous unirai, puisque vous le voulez :
Il faut bien satisfaire aux feux dont vous brûlez,1660
Et que tout l’univers, sachant ce qui m’anime,
S’étonne du supplice aussi bien que du crime.