Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/85

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n’avez point d’applaudissements que vous ne gagniez à force de sonnets et de révérences. Si vous envoyiez vos pièces de Besançon, comme M. Corneille envoie les siennes de Rouen, sans intéresser personne en leur succès, vous tomberiez bien bas, et je m’assure que quelque adresse que vous apportiez à faire valoir votre traduction du Soliman italien, qui a déjà couru les ruelles dix-huit mois et qu’on réserve pour cet hiver, le bruit de cette importante pièce de batterie ne fera point faire retraite au Cid[1].

Criez tant qu’il vous plaira, et donnez aux acteurs ce qui n’est dû qu’au poëte ; servez-vous du témoignage de M. de Balzac, il ne vous sera point avantageux. Ne traite-t-il pas Massinisse et Brutus de même que Jason, qu’il nomme le premier, pour montrer qu’il estime plus son auteur que vous[2] ? Et véritablement vous avez été toujours tellement au-dessous de lui, dès qu’il a pris la plume, qu’il n’avoit pas besoin de faire un Cid pour passer devant vous : tant de beaux poëmes dont il a enrichi le théâtre vous laissoient déjà loin derrière. Parlez en homme désintéressé, et on vous écoutera. Si le malheur a voulu que la Mariane et le Cid aient étouffé le débit de toutes vos rimes, il faut prendre patience, et ne murmurer point contre les nouvelles grâces qu’on a trouvées au Cid depuis qu’il a été imprimé.

Vous vous plaignez de ce que M. Corneille ne s’est pas soumis au jugement de l’Académie. Pour le mettre en tort, il faudroit que vous et l’observateur y soumissiez vos ouvrages ; ce n’est pas la raison qu’il soit censuré tout seul, jamais il ne refusera de prendre ces Messieurs pour juges entre Médée et Sophonisbe, et même entre Clitandre et Virginie, mais non pas entre le Cid et un libelle.

  1. En 1639 a paru : Le grand et dernier Solyman ou la Mort de Mustapha, tragédie par M. Mairet. Représenté par la troupe Royalle. Paris, A. Courbé, in-4o. On lit dans l’Avertissement au lecteur : « Je t’avertis que le Solyman qu’on mit en lumière il y a deux ans n’est pas de moi. » En effet, le Soliman publié en 1637 est de d’Alibray. Les deux ouvrages sont imités de la pièce italienne du comte Bonarelli de la Rovère.
  2. Voyez la Notice sur Médée, tome II, p. 330 et 331, et ci-dessus, p. 8 et 9, et note i de cette dernière page.