Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/402

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Recevez-moi pour tiers d’une amitié si belle,
Et croyez qu’à l’envi je vous serai fidèle[1].

  1. Var. [Et croyez qu’à l’envi je vous serai fidèle.]
    Cher ami, cependant connoissez-vous ceci (a) ?
    (Il lui montre le Menteur imprimé.)
    DOR. Oui, je sais ce que c’est ; vous en êtes aussi :
    Un peu moins que le mien votre nom s’y fait lire ;
    Et si Cliton dit vrai (b), nous aurons de quoi rire.
    C’est une comédie, où, pour parler sans fard,
    Philiste, ainsi que moi, doit avoir quelque part ;
    Au sortir d’écolier, j’eus certaine aventure
    Qui me met là dedans en fort bonne posture ;
    On la joue au Marais, sous le nom du Menteur.
    CLIT. Gardez que celle-ci n’aille jusqu’à l’auteur,
    Et que pour une suite il n’y trouve matière ;
    La seconde, à mon gré, vaudroit bien la première.
    DOR. Fais-en ample mémoire, et va le lui porter ;
    Nous prendrons du plaisir à la représenter :
    Entre les gens d’honneur on fait de ces parties,
    Et je tiens celle-ci pour des mieux assorties.
    PHIL. Le sujet seroit beau. DOR. Vous n’en savez pas tout.
    MÉL. Quoi ? jouer nos amours ainsi de bout en bout |
    CLÉAND. La majesté des rois, que leur cour idolâtre,
    Sans perdre son éclat, monte sur le théâtre :
    C’est gloire, et non pas honte ; et pour moi, j’y consens.
    PHIL. S’il vous en faut encor des motifs plus puissants,
    Vous pouvez effacer avec cette seconde
    Les bruits que la première a laissés dans le monde,
    Et ce cœur généreux n’a que trop d’intérêt
    Qu’elle fasse partout connoître ce qu’il est.
    CLIT. Mais peut-on l’ajuster dans les vingt et quatre heures ?
    DOR. Qu’importe ? CLIT. À mon avis, ce sont bien les meilleures ;
    Car, grâces au bon Dieu, nous nous y connoissons ;
    Les poëtes au parterre en font tant de leçons,
    Et là cette science est si bien éclaircie,
    Que nous savons que c’est que de péripétie,
    Catastase, épisode, unité, dénoûment,
    Et quand nous en parlons, nous parlons congrûment.
    Donc, en termes de l’art, je crains que votre histoire
    Soit peu juste au théâtre, et la preuve est notoire :
    Si le sujet est rare, il est irrégulier ;
    Car vous êtes le seul qu’on y voit marier (c).
    DOR. L’auteur y peut mettre ordre avec fort peu de peine :
    Cléandre en même temps épousera Climène ;
    Et pour Philiste, il n’a qu’à me faire une sœur
    Dont il recevra l’offre avec joie et douceur ;
    Il te pourra toi-même assortir avec Lyse.
    CLIT. L’invention est juste, et me semble de mise,
    Ne reste plus qu’un point touchant votre cheval :
    Si l’auteur n’en rend compte, elle finira mal ;
    Les esprits délicats y trouveront à dire,
    Et feront de la pièce entre eux une satire.
    Si de quoi qu’on y parle, autant gros que menu,
    La fin ne leur apprend ce qu’il est devenu.
    CLÉAND. De peur que dans la ville il me fît reconnoître,
    Je le laissai bientôt libre de chercher maître ;
    Mais pour mettre la pièce à sa perfection,
    L’auteur, à ce défaut, jouera d’invention.
    DOR. Nous perdons trop de temps autour de sa doctrine ;
    Qu’à son choix, comme lui, tout le monde y raffine ;
    Allons voir comme ici l’auteur m’a figuré,
    Et rire à mes dépens après avoir pleuré.
    CLITON, seul. Tout change, et de la joie on passe à la tristesse ;
    Aux plus grands déplaisirs succède l’allégresse.
    [Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir.] (1645-56)

    (a) Les éditions de 1648-56 portent avant ce vers : « À Dorante. »

    (b) Voyez vers 269 et suivants.

    (c) Ceci pourrait bien être une allusion au triple mariage qui termine la pièce espagnole. Voyez l’Appendice, p. 394 et 395.