Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/469

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Nous attendons le sceptre avec même espérance ;
600Mais si nous l’attendons, c’est sans impatience.
Nous pouvons sans régner vivre tous deux contents :
C’est le fruit de vos soins, jouissez-en longtemps ;
Il tombera sur nous quand vous en serez lasse :
Nous le recevrons lors de bien meilleure grâce[1] ;
605Et l’accepter si tôt semble nous reprocher
De n’être revenus que pour vous l’arracher.

SÉLEUCUS.

J’ajouterai, Madame, à ce qu’a dit mon frère
Que bien qu’avec plaisir et l’un et l’autre espère,
L’ambition n’est pas notre plus grand desir.
610Régnez, nous le verrons tous deux avec plaisir[2] ;
Et c’est bien la raison que pour tant de puissance
Nous vous rendions du moins un peu d’obéissance,
Et que celui de nous dont le ciel a fait choix
Sous votre illustre exemple apprenne l’art des rois.

CLÉOPATRE.

615Dites tout, mes enfants : vous fuyez la couronne,
Non que son trop d’éclat ou son poids vous étonne :
L’unique fondement de cette aversion,
C’est la honte attachée à sa possession ;
Elle passe à vos yeux pour la même infamie,
620S’il faut la partager avec notre ennemie[3],
Et qu’un indigne hymen la fasse retomber
Sur celle qui venoit pour vous la dérober.
Ô nobles sentiments d’une âme généreuse !
Ô fils vraiment mes fils ! ô mère trop heureuse !
625Le sort de votre père enfin est éclairci :
Il étoit innocent, et je puis l’être aussi ;
Il vous aima toujours, et ne fut mauvais père

  1. Var. Nous le recevrons lors avec meilleure grâce. (1647-64)
  2. Var. Régnez, nous le verrons tous deux sans déplaisir. (1647-56)
  3. Var. S’il faut la partager avec votre ennemie. (1647-63)