Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/472

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680Ô femme, que je n’ose appeler encor mère !
Après que tes forfaits ont régné pleinement,
Ne saurois-tu souffrir qu’on règne innocemment ?
Quels attraits penses-tu qu’ait pour nous la couronne,
S’il faut qu’un crime égal par ta main nous la donne ?
685Et de quelles horreurs nous doit-elle combler,
Si pour monter au trône il faut te ressembler ?

ANTIOCHUS.

Gardons plus de respect aux droits de la nature,
Et n’imputons qu’au sort notre triste aventure :
Nous le nommions cruel, mais il nous étoit doux
690Quand il ne nous donnoit à combattre que nous.
Confidents tout ensemble et rivaux l’un de l’autre,
Nous ne concevions point de mal pareil au nôtre ;
Cependant à nous voir l’un de l’autre rivaux,
Nous ne concevions pas la moitié de nos maux.

SÉLEUCUS.

695Une douleur si sage et si respectueuse,
Ou n’est guère sensible, ou guère impétueuse ;
Et c’est en de tels maux avoir l’esprit bien fort
D’en connoître la cause et l’imputer au sort.
Pour moi, je sens les miens avec plus de foiblesse :
700Plus leur cause m’est chère, et plus l’effet m’en blesse.
Non que pour m’en venger j’ose entreprendre rien :
Je donnerois encor tout mon sang pour le sien.
Je sais ce que je dois ; mais dans cette contrainte,
Si je retiens mon bras, je laisse aller ma plainte ;
705Et j’estime qu’au point qu’elle nous a blessés,
Qui ne fait que s’en plaindre a du respect assez.
Voyez-vous bien quel est le ministère infâme
Qu’ose exiger de nous la haine d’une femme ?
Voyez-vous qu’aspirant à des crimes nouveaux,
710De deux princes, ses fils, elle fait ses bourreaux ?
Si vous pouvez le voir, pouvez-vous vous en taire ?