Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/515

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ANTIOCHUS.

D’un et d’autre côté l’action est si noire
1680Que n’en pouvant douter, je n’ose encor la croire.
Ô quiconque des deux avez versé son sang,
Ne vous préparez plus à me percer le flanc !
Nous avons mal servi vos haines mutuelles,
Aux jours l’une de l’autre également cruelles ;
1685Mais si j’ai refusé ce détestable emploi,
Je veux bien vous servir toutes deux contre moi :
Qui que vous soyez donc, recevez une vie
Que déjà vos fureurs m’ont à demi ravie[1].

RODOGUNE.

Ah ! Seigneur, arrêtez !

TIMAGÈNE.

Ah ! Seigneur, arrêtez !Seigneur, que faites-vous ?

ANTIOCHUS.

1690Je sers ou l’une ou l’autre, et je préviens ses coups.

CLÉOPATRE.

Vivez, régnez heureux.

ANTIOCHUS.

Vivez, régnez heureux.Ôtez-moi donc de doute,
Et montrez-moi la main qu’il faut que je redoute[2],
Qui pour m’assassiner ose me secourir,
Et me sauve de moi pour me faire périr.
1695Puis-je vivre et traîner cette gêne éternelle[3],
Confondre l’innocente avec la criminelle,
Vivre et ne pouvoir plus vous voir sans m’alarmer,
Vous craindre toutes deux, toutes deux vous aimer ?
Vivre avec ce tourment, c’est mourir à toute heure,

  1. Après ce vers, l’édition de 1692 ajoute ce jeu de scène, que Voltaire
    donne aussi dans la sienne : Il tire son épée et veut se tuer.
  2. Var. Et me montrez la main qu’il faut que je redoute. (1647-66)
  3. Var. Puis-je vivre et traîner le soupçon qui m’accable,
    Confondre l’innocente avecque la coupable. (1647-56)