Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/60

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Malgré lui l’enlevât aux mains de ses bourreaux.
445Mais voici de retour le fidèle Achorée,
Par qui j’en apprendrai la nouvelle assurée.


Scène II.

CLÉOPATRE, ACHORÉE, CHARMION.
CLÉOPATRE.

En est-ce déjà fait, et nos bords malheureux
Sont-ils déjà souillés d’un sang si généreux ?

ACHORÉE.

Madame, j’ai couru par votre ordre au rivage ;
450J’ai vu la trahison, j’ai vu toute sa rage ;
Du plus grand des mortels j’ai vu trancher le sort[1] :
J’ai vu dans son malheur la gloire de sa mort ;
Et puisque vous voulez qu’ici je vous raconte
La gloire d’une mort qui nous couvre de honte,
455écoutez, admirez, et plaignez son trépas.
Ses trois vaisseaux en rade avoient mis voile bas ;
Et voyant dans le port préparer nos galères,
Il croyoit que le roi, touché de ses misères,
Par un beau sentiment d’honneur et de devoir,
460Avec toute sa cour le venoit recevoir ;
Mais voyant que ce prince, ingrat à ses mérites,
N’envoyoit qu’un esquif rempli de satellites,
Il soupçonne aussitôt son manquement de foi[2],
Et se laisse surprendre à quelque peu d’effroi ;
465Enfin, voyant nos bords et notre flotte en armes,

  1. Achorée joue dans la Pharsale, comme nous l’avons dit (p. 26, note 6), un tout autre rôle que dans la tragédie ; mais chez Lucain, comme chez Corneille, il est favorable à Pompée : voyez la Pharsale, livre VIII, vers 475-481.
  2. Var. Il soupçonna dès lors son manquement de foi,
    Et se laissa surprendre à quelque peu d’effroi. (1644-56)