Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/73

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Je ne sais si César prendroit plaisir à feindre ;
Mais pour eux jusqu’ici je trouve lieu de craindre :
S’ils aimoient Ptolomée, ils l’ont fort mal servi.
740Vous l’avez vu partir, et moi je l’ai suivi.
Ses vaisseaux en bon ordre ont éloigné la ville[1],
Et pour joindre César n’ont avancé qu’un mille.
Il venoit à plein voile[2] ; et si dans les hasards
Il éprouva toujours pleine faveur de Mars[3],
745Sa flotte, qu’à l’envi favorisoit Neptune,
Avoit le vent en poupe ainsi que sa fortune.
Dès le premier abord notre prince étonné
Ne s’est plus souvenu de son front couronné :
Sa frayeur a paru sous sa fausse allégresse ;
750Toutes ses actions ont senti la bassesse ;
J’en ai rougi moi-même, et me suis plaint à moi
De voir là Ptolomée, et n’y voir point de roi ;
Et César, qui lisoit sa peur sur son visage,
Le flattoit par pitié pour lui donner courage.
755Lui, d’une voix tombante offrant ce don fatal :
« Seigneur, vous n’avez plus, lui dit-il, de rival ;
Ce que n’ont pu les Dieux dans votre Thessalie,
Je vais mettre en vos mains Pompée et Cornélie :
En voici déjà l’un, et pour l’autre, elle fuit ;
760Mais avec six vaisseaux un des miens la poursuit. »
À ces mots Achillas découvre cette tête :
Il semble qu’à parler encore elle s’apprête,
Qu’à ce nouvel affront un reste de chaleur
En sanglots mal formés exhale sa douleur ;
765Sa bouche encore ouverte et sa vue égarée
Rappellent sa grande âme à peine séparée ;

  1. Pour : se sont éloignés de la ville. Voyez le Lexique.
  2. À cette époque ce mot se rencontre assez fréquemment au masculin en ce sens. Voyez le Lexique.
  3. Var. Il éprouva toujours la faveur de son Mars. (1644-56)