Nous vous devions, Seigneur, servir malgré vous-même ;
Et sans attendre d’ordre en cette occasion,
Mon zèle ardent l’a prise à ma confusion.
Vous m’en désavouez, vous l’imputez à crime ;
Mais pour servir César rien n’est illégitime.
J’en ai souillé mes mains pour vous en préserver :
Vous pouvez en jouir, et le désapprouver ;
Et j’ai plus fait pour vous, plus l’action est noire,
Puisque c’est d’autant plus vous immoler ma gloire,
Et que ce sacrifice, offert par mon devoir,
Vous assure la vôtre avec votre pouvoir.
Vous cherchez, Ptolomée, avecque trop de ruses[1],
De mauvaises couleurs et de froides excuses.
Votre zèle étoit faux, si seul il redoutoit
Ce que le monde entier à pleins vœux souhaitoit,
Et s’il vous a donné ces craintes trop subtiles,
Qui m’ôtent tout le fruit de nos guerres civiles,
Où l’honneur seul m’engage, et que pour terminer
Je ne veux que celui de vaincre et pardonner,
Où mes plus dangereux et plus grands adversaires,
Sitôt qu’ils sont vaincus, ne sont plus que mes frères ;
Et mon ambition ne va qu’à les forcer,
Ayant dompté leur haine, à vivre[2] et m’embrasser.
Oh ! combien d’allégresse une si triste guerre
Auroit-elle laissé dessus toute la terre,
Si Rome avoit pu voir marcher en même char[3],
Vainqueurs de leur discorde, et Pompée et César !
Voilà ces grands malheurs que craignoit votre zèle.
Ô crainte ridicule autant que criminelle !