Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/98

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1385Qui la sait et la souffre a part à l’infamie.
Si je veux ton trépas, c’est en juste ennemie :
Mon époux a des fils, il aura des neveux ;
Quand ils te combattront, c’est là que je le veux,
Et qu’une digne main par moi-même animée,
1390Dans ton champ de bataille, aux yeux de ton armée,
T’immole noblement, et par un digne effort,
Aux mânes du héros dont tu venges la mort.
Tous mes soins, tous mes vœux hâtent cette vengeance ;
Ta perte la recule, et ton salut l’avance.
1395Quelque espoir qui d’ailleurs me l’ose ou puisse offrir,
Ma juste impatience auroit trop à souffrir :
La vengeance éloignée est à demi perdue,
Et quand il faut l’attendre, elle est trop cher vendue[1].
Je n’irai point chercher sur les bords africains
1400Le foudre souhaité que je vois en tes mains[2] :
La tête qu’il menace en doit être frappée.
J’ai pu donner la tienne, au lieu d’elle, à Pompée :
Ma haine avait le choix ; mais cette haine enfin
Sépare son vainqueur d’avec son assassin,
1405Et ne croit avoir droit de punir ta victoire[3]
Qu’après le châtiment d’une action si noire.
Rome le veut ainsi ; son adorable front
Auroit de quoi rougir d’un trop honteux affront,
De voir en même jour, après tant de conquêtes,
1410Sous un indigne fer ses deux plus nobles têtes.
Son grand cœur, qu’à tes lois en vain tu crois soumis,
En veut aux criminels plus qu’à ses ennemis,
Et tiendroit à malheur le bien de se voir libre,
Si l’attentat du Nil affranchissait le Tibre.

  1. Var. Quand il la faut attendre, elle est trop cher vendue. (1644-56)
  2. Var. Le foudre punisseur que je vois en tes mains. (1644-56)
  3. Var. Et me laisse encor voir qu’il y va de ma gloire
    De punir son audace avant que ta victoire. (1644-56)