Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/158

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ième année de sa tyrannie, quoiqu’il l’eût sacrifiée à sa sûreté avec ses filles dès la cinquième. Je ne me mettrai pas en peine de justifier cette licence que j’ai prise : l’événement l’a assez justifiée et les exemples des anciens que j’ai rapportés sur Rodogune semblent l’autoriser suffisamment ; mais, à parler sans fard, je ne voudrais pas conseiller à personne de la tirer en exemple. C’est beaucoup hasarder, et l’on n’est pas toujours heureux ; et, dans un dessein de cette nature, ce qu’un bon succès fait passer pour une ingénieuse hardiesse, un mauvais le fait prendre pour une témérité ridicule.

Baronius, parlant de la mort de l’empereur Maurice et de celle de ses fils, que Phocas faisait immoler à sa vue, rapporte une circonstance très rare, dont j’ai pris l’occasion de former le nœud de cette tragédie, à qui elle sert de fondement. Cette nourrice eut tant de zèle pour ce malheureux prince, qu’elle exposa son propre fils au supplice, au lieu d’un des siens qu’on lui avait donné à nourrir. Maurice reconnut l’échange et l’empêcha par une considération pieuse que cette extermination de toute sa famille était un juste jugement de Dieu, auquel il n’eût pas cru satisfaire s’il eût souffert que le sang d’un autre eût payé pour celui d’un de ses fils. Mais, quant à ce qui était de la mère, elle avait surmonté l’affection maternelle en faveur de son prince, et l’on peut dire que son enfant était mort pour son regard. Comme j’ai cru que cette action était assez généreuse pour mériter une personne plus illustre à la produire, j’ai fait de cette nourrice une gouvernante. J’ai supposé que l’échange avait eu son effet, et de cet enfant sauvé par la supposition d’un autre, j’en ai fait Héraclius, le