Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/179

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Un cœur comme le tien, si grand, si magnanime…

Pulchérie

Va, je ne confonds point ses vertus et ton crime.
Comme ma haine est juste et ne m’aveugle pas,
J’en vois assez en lui pour les plus grands Etats ;
J’admire chaque jour les preuves qu’il en donne ;
J’honore sa valeur, j’estime sa personne,
Et penche d’autant plus à lui vouloir du bien
Que, s’en voyant indigne, il ne demande rien,
Que ses longues froideurs témoignent qu’il s’irrite
De ce qu’on veut de moi par delà son mérite,
Et que de tes projets son cœur triste et confus
Pour m’en faire justice approuve mes refus.
Ce fils si vertueux d’un père si coupable,
S’il ne devait régner, me pourrait être aimable,
Et cette grandeur même où tu veux le porter
Est l’unique motif qui m’y fait résister.
Après l’assassinat de ma famille entière,
Quand tu ne m’as laissé père, mère, ni frère,
Que j’en fasse ton fils légitime héritier !
Que j’assure par là leur trône au meurtrier !
Non, non. Si tu me crois le cœur si magnanime
Qu’il ose séparer ses vertus de ton crime,
Sépare tes parents, et ne m’offre aujourd’hui
Que ton fils sans le sceptre, ou le sceptre sans lui.
Avise, et si tu crains qu’il te fût trop infâme
De remettre l’empire en la main d’une femme,
Tu peux dès aujourd’hui le voir mieux occupé.
Le ciel me rend un frère à ta rage échappé ;
On dit qu’Héraclius est tout prêt de paraître.
Tyran, descends du trône, et fais place à ton maître.