Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/450

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Vous l’avez honoré sans vous déshonorer,
Et satisfait ensemble, en trompant mon attente,
La grandeur d’une reine et l’ardeur d’une amante.

DONA ISABELLE

Dis que pour honorer sa générosité,
Mon amour s’est joué de mon autorité,
Et qu’il a fait servir, en trompant ton attente,
Le pouvoir de la reine au courroux de l’amante.
D’abord par ce discours, qui t’a semblé suspect,
Je voulais seulement essayer leur respect,
Soutenir jusqu’au bout la dignité de reine ;
Et comme enfin ce choix me donnait de la peine,
Perdre quelques moments, choisir un peu plus tard :
J’allais nommer pourtant, et nommer au hasard ;
Mais tu sais quel orgueil ont lors montré les comtes,
Combien d’affronts pour lui, combien pour moi de hontes.
Certes, il est bien dur à qui se voit régner
De montrer quelque estime, et la voir dédaigner.
Sous ombre de venger sa grandeur méprisée,
L’amour à la faveur trouve une pente aisée ;
À l’intérêt du sceptre aussitôt attaché,
Il agit d’autant plus qu’il se croit bien caché,
Et s’ose imaginer qu’il ne fait rien paraître
Que ce change de nom ne fasse méconnaître.
J’ai fait Carlos marquis, et comte, et gouverneur ;
Il doit à ses jaloux tous ces titres d’honneur :
M’en voulant faire avare, ils m’en faisaient prodigue ;
Ce torrent grossissait, rencontrant cette digue :
C’était plus les punir que le favoriser.
L’amour me parlait trop, j’ai voulu l’amuser ;
Par ces profusions j’ai cru le satisfaire,
Et l’ayant satisfait, l’obliger à se taire ;
Mais, hélas ! En mon cœur il avait tant d’appui,
Que je n’ai pu jamais prononcer contre lui,