Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/469

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Mais avant qu’à choisir j’ose me hasarder,
Je voudrais voir en vous quelque preuve certaine
Qu’en moi c’est moi qu’on aime, et non l’éclat de reine.
L’amour n’est, ce dit-on, qu’une union d’esprits ;
Et je tiendrais des deux celui-là mieux épris
Qui favoriserait ce que je favorise,
Et ne mépriserait que ce que je méprise,
Qui prendrait en m’aimant même cœur, mêmes yeux :
Si vous ne m’entendez, je vais m’expliquer mieux.
Aux vertus de Carlos j’ai paru libérale :
Je voudrais en tous deux voir une estime égale,
Qu’il trouvât même honneur, même justice en vous,
Car ne présumez pas que je prenne un époux
Pour m’exposer moi-même à ce honteux outrage
Qu’un roi fait de ma main détruise mon ouvrage ;
N’y pensez l’un ni l’autre, à moins qu’un digne effet
Suive de votre part ce que pour lui j’ai fait,
Et que par cet aveu je demeure assurée
Que tout ce qui m’a plu doit être de durée.

DOM MANRIQUE

Toujours Carlos, madame ! Et toujours son bonheur
fait dépendre de lui le nôtre et votre cœur !
Mais puisque c’est par là qu’il faut enfin vous plaire,
Vous-même apprenez-nous ce que nous pouvons faire.
Nous l’estimons tous deux un des braves guerriers
À qui jamais la guerre ait donné des lauriers ;
Notre liberté même est due à sa vaillance ;
Et quoiqu’il ait tantôt montré quelque insolence,
Dont nous a dû piquer l’honneur de notre rang,
Vous avez suppléé l’obscurité du sang.
Ce qu’il vous plaît qu’il soit, il est digne de l’être.