Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/471

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Que ce que je l’ai fait il est digne de l’être,
Que je puis suppléer l’obscurité du sang ?

DOM MANRIQUE

Oui, bien pour l’élever jusques à notre rang.
Jamais un souverain ne doit compte à personne
Des dignités qu’il fait, et des grandeurs qu’il donne :
S’il est d’un sort indigne ou l’auteur ou l’appui,
Comme il le fait lui seul, la honte est toute à lui.
Mais disposer d’un sang que j’ai reçu sans tache !
Avant que le souiller il faut qu’on me l’arrache :
J’en dois compte aux aïeux dont il est hérité,
À toute leur famille, à la postérité.

DONA ISABELLE

Et moi, Manrique, et moi, qui n’en dois aucun conte,
J’en disposerai seule, et j’en aurai la honte.
Mais quelle extravagance a pu vous figurer
Que je me donne à vous pour vous déshonorer,
Que mon sceptre en vos mains porte quelque infamie ?
Si je suis jusque-là de moi-même ennemie,
En quelle qualité, de sujet, ou d’amant,
M’osez-vous expliquer ce noble sentiment ?
Ah ! Si vous n’apprenez à parler d’autre sorte…

DOM LOPE

Madame, pardonnez à l’ardeur qui l’emporte ;
Il devait s’excuser avec plus de douceur.
Nous avons, en effet, l’un et l’autre une sœur ;
Mais, si j’ose en parler avec quelque franchise,
À d’autres qu’au marquis l’une et l’autre est promise.

DONA ISABELLE

À qui, Dom Lope ?

DOM MANRIQUE

À moi, madame.