Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/480

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Mais jugez-en tous deux, et me daignez apprendre
Ce qu’avec raison mon cœur en doit attendre.
Les troubles d’Aragon vous sont assez connus ;
Je vous en ai souvent tous deux entretenus,
Et ne vous redis point quelles longues misères
Chassèrent Dom Fernand du trône de ses pères.
Il y voyait déjà monter ses ennemis,
Ce prince malheureux, quand j’accouchai d’un fils :
On le nomma Dom Sanche ; et pour cacher sa vie
Aux barbares fureurs du traître Dom Garcie,
À peine eus-je loisir de lui dire un adieu,
Qu’il le fit enlever sans me dire en quel lieu ;
Et je n’en pus jamais savoir que quelques marques,
Pour reconnaître un jour le sang de nos monarques.
Trop inutiles soins contre un si mauvais sort !
Lui-même au bout d’un an m’apprit qu’il était mort.
Quatre ans après il meurt et me laisse une fille
Dont je vins par son ordre accoucher en Castille.
Il me souvient toujours de ses derniers propos ;
Il mourut en mes bras avec ces tristes mots :
"Je meurs, et je vous laisse en un sort déplorable :
Le ciel vous puisse un jour être plus favorable !
Don Raymond a pour vous des secrets importants,
Et vous les apprendra quand il en sera temps :
Fuyez dans la Castille." À ces mots il expire,
Et jamais Dom Raymond ne me voulut rien dire.
Je partis sans lumière en ces obscurités:
Mais le voyant venir avec ces députés,
Et que c’est par leurs gens que ce grand bruit éclate
(voyez qu’en sa faveur aisément on se flatte !),
J’ai cru que du secret le temps était venu,
Et que Dom Sanche était ce mystère inconnu ;