Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/490

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À moins que d’une reine, il n’a pu s’enflammer :
Voilà mon premier crime, et je ne puis vous dire
Qui m’a fait infidèle, ou vous, ou Dona Elvire ;
Mais je sais que ce cœur, des deux parts engagé,
Se donnant à vous deux, ne s’est point partagé,
Toujours prêt d’embrasser son service et le vôtre,
Toujours prêt à mourir et pour l’une et pour l’autre.
Pour n’en adorer qu’une, il eût fallu choisir ;
Et ce choix eût été du moins quelque désir,
Quelque espoir outrageux d’être mieux reçu d’elle,
Et j’ai cru moins de crime à paraître infidèle.
Qui n’a rien à prétendre en peut bien aimer deux,
Et perdre en plus d’un lieu des soupirs et des vœux :
Voilà mon second crime ; et quoique ma souffrance
Jamais à ce beau feu n’ait permis d’espérance,
Je ne puis, sans mourir d’un désespoir jaloux,
Voir dans les bras d’un autre, ou Dona Elvire, ou vous.
Voyant que votre choix m’apprêtait ce martyre,
Je voulais m’y soustraire en suivant Dona Elvire,
Et languir auprès d’elle, attendant que le sort
Par un semblable hymen m’eût envoyé la mort.
Depuis, l’occasion que vous-même avez faite,
M’a fait quitter le soin d’une telle retraite.
Ce trouble a quelque temps amusé ma douleur ;
J’ai cru par ces combats reculer mon malheur.
Le coup de votre perte est devenu moins rude,
Lorsque j’en ai vu l’heure en quelque incertitude,
Et que j’ai pu me faire une si douce loi
Que ma mort vous donnât un plus vaillant que moi.
Mais je n’ai plus, madame, aucun combat à faire.
Je vois pour vous Dom Sanche un époux nécessaire ;
Car ce n’est point l’amour qui fait l’hymen des rois :
Les raisons de l’état règlent toujours leur choix ;
Leur sévère grandeur jamais ne se ravale,