Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/565

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Et, puisque vous voyez mon âme tout entière,
Seigneur, ne perdez plus menace ni prière.

Flaminius. Puis-je ne pas vous plaindre en cet aveuglement ?
Madame, encore un coup, pensez-y mûrement :
Songez mieux ce qu’est Rome, et ce qu’elle peut faire ;
Et, si vous vous aimez, craignez de lui déplaire.
Carthage étant détruite, Antiochus défait,
Rien de nos volontés ne peut troubler l’effet :
Tout fléchit sur la terre, et tout tremble sur l’onde ;
Et Rome est aujourd’hui la maîtresse du monde.

Laodice. La maîtresse du monde ! Ah ! vous me feriez peur
S’il ne s’en fallait pas l’Arménie et mon cœur,
Si le grand Annibal n’avait qui lui succède,
S’il ne revivait pas au prince Nicomède,
Et s’il n’avait laissé dans de si dignes mains
L’infaillible secret de vaincre les Romains.
Un si vaillant disciple aura bien le courage
D’en mettre jusqu’au bout les leçons en usage :
L’Asie en fait l’épreuve, où trois sceptres conquis
Font voir en quelle école il en a tant appris.
Ce sont des coups d’essai, mais si grands que peut-être
Le Capitole a lieu d’en craindre un coup de maître,
Et qu’il ne puisse un jour…

Flaminius. Ce jour est encor loin,
Madame ; et quelques-uns vous diront au besoin
Quels dieux du haut en bas renversent les profanes,
Et que, même au sortir de Trébie et de Cannes,