Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/151

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Mon bras sur moi du moins enfoncera les coups
Qu’aura son insolence élevés jusqu’à vous,
Et saura me soustraire à cette ignominie
De souffrir après vous quelques moments de vie,
Qui dans le triste état où le ciel nous réduit,
Seraient de mon départ l’infâme et le seul fruit.


Dircé.

Quoi ? Dircé par sa mort deviendrait criminelle
Jusqu’à forcer Thésée à mourir après elle,
Et ce cœur, intrépide au milieu du danger,
Se défendrait si mal d’un malheur si léger !
M’immoler une vie à tous si précieuse,
Ce serait rendre à tous ma mémoire odieuse,
Et par toute la Grèce animer trop d’horreur
Contre une ombre chérie avec tant de fureur.
Ces infâmes brigands dont vous l’avez purgée,
Ces ennemis publics dont vous l’avez vengée,
Après votre trépas à l’envi renaissants,
Pilleraient sans frayeur les peuples impuissants ;
Et chacun maudirait, en les voyant paraître,
La cause d’une mort qui les ferait renaître.
Oserai-je, seigneur, vous dire hautement
Qu’un tel excès d’amour n’est pas d’un tel amant ?
S’il est vertu pour nous, que le ciel n’a formées
Que pour le doux emploi d’aimer et d’être aimées,
Il faut qu’en vos pareils les belles passions
Ne soient que l’ornement des grandes actions.
Ces hauts emportements qu’un beau feu leur inspire
Doivent les élever, et non pas les détruire ;
Et quelque désespoir que leur cause un trépas,
Leur vertu seule a droit de faire agir leurs bras.
Ces bras, que craint le crime à l’égal du tonnerre,
Sont des dons que le ciel fait à toute la terre ;
Et l’univers en eux perd un trop grand secours,