Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/152

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Pour souffrir que l’amour soit maître de leurs jours.
Faites voir, si je meurs, une entière tendresse ;
Mais vivez après moi pour toute notre Grèce,
Et laissez à l’amour conserver par pitié
De ce tout désuni la plus digne moitié.
Vivez pour faire vivre en tous lieux ma mémoire,
Pour porter en tous lieux vos soupirs et ma gloire,
Et faire partout dire : " un si vaillant héros
Au malheur de Dircé donne encor des sanglots ;
Il en garde en son âme encor toute l’image,
Et rend à sa chère ombre encor ce triste hommage. "
Cet espoir est le seul dont j’aime à me flatter,
Et l’unique douceur que je veux emporter.


Thésée.

Ah ! Madame, vos yeux combattent vos maximes :
Si j’en crois leur pouvoir, vos conseils sont des crimes.
Je ne vous ferai point ce reproche odieux,
Que si vous aimiez bien, vous conseilleriez mieux :
Je dirai seulement qu’auprès de ma princesse
Aux seuls devoirs d’amant un héros s’intéresse,
Et que de l’univers fût-il le seul appui,
Aimant un tel objet, il ne doit rien qu’à lui.
Mais ne contestons point et sauvons l’un et l’autre :
L’hymen justifiera ma retraite et la vôtre.
Le roi me pourrait-il en refuser l’aveu,
Si vous en avouez l’audace de mon feu ?
Pourrait-il s’opposer à cette illustre envie
D’assurer sur un trône une si belle vie,
Et ne point consentir que des destins meilleurs
Vous exilent d’ici pour commander ailleurs ?


Dircé.

Le roi, tout roi qu’il est, seigneur, n’est pas mon maître ;
Et le sang de Laïus, dont j’eus l’honneur de naître,
Dispense trop mon cœur de recevoir la loi