Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/168

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Qui par un sentiment et juste et relevé
L’a consacré lui-même à qui l’a conservé ?
Si vous aviez du Sphinx vu le sanglant ravage…


Dircé.

Je puis dire, seigneur, que j’ai vu davantage :
J’ai vu ce peuple ingrat que l’énigme surprit
Vous payer assez bien d’avoir eu de l’esprit.
Il pouvait toutefois avec quelque justice
Prendre sur lui le prix d’un si rare service ;
Mais quoiqu’il ait osé vous payer de mon bien,
En vous faisant son roi, vous a-t-il fait le mien ?
En se donnant à vous, eut-il droit de me vendre ?


Œdipe.

Ah ! C’est trop me forcer, madame, à vous entendre.
La jalouse fierté qui vous enfle le cœur
Me regarde toujours comme un usurpateur :
Vous voulez ignorer cette juste maxime,
Que le dernier besoin peut faire un roi sans crime,
Qu’un peuple sans défense et réduit aux abois…


Dircé.

Le peuple est trop heureux quand il meurt pour ses rois.
Mais, seigneur, la matière est un peu délicate ;
Vous pouvez vous flatter, peut-être je me flatte.
Sans rien approfondir, parlons à cœur ouvert.
Vous régnez en ma place, et les dieux l’ont souffert :
Je dis plus, ils vous ont saisi de ma couronne.
Je n’en murmure point, comme eux je vous la donne ;
J’oublierai qu’à moi seule ils devaient la garder ;
Mais si vous attentez jusqu’à me commander,
Jusqu’à prendre sur moi quelque pouvoir de maître,