Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/201

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J’en garderai le nom tant qu’il faudra mourir ;
Mais si jamais d’ailleurs on peut vous secourir,
Peut-être que le ciel me faisant mieux connaître,
Sitôt que vous vivrez, je cesserai de l’être ;
Car je n’aspire point à calmer son courroux,
Et ne veux ni mourir ni vivre que pour vous.


Dircé.

Cet amour mal éteint sied mal au cœur d’un frère :
Où le sang doit parler, c’est à lui de se taire ;
Et sitôt que sans crime il ne peut plus durer,
Pour ses feux les plus vifs il est temps d’expirer.


Thésée.

Laissez-lui conserver ces ardeurs empressées
Qui vous faisaient l’objet de toutes mes pensées.
J’ai mêmes yeux encore, et vous mêmes appas :
Si mon sort est douteux, mon souhait ne l’est pas.
Mon cœur n’écoute point ce que le sang veut dire :
C’est d’amour qu’il gémit, c’est d’amour qu’il soupire ;
Et pour pouvoir sans crime en goûter la douceur,
Il se révolte exprès contre le nom de sœur.
De mes plus chers désirs ce partisan sincère
En faveur de l’amant tyrannise le frère,
Et partage à tous deux le digne empressement
De mourir comme frère et vivre comme amant.


Dircé.

Ô du sang de Laïus preuves trop manifestes !
Le ciel, vous destinant à des flammes incestes,
A su de votre esprit déraciner l’horreur
Que doit faire à l’amour le sacré nom de sœur ;
Mais si sa flamme y garde une place usurpée,
Dircé dans votre erreur n’est point enveloppée :
Elle se défend mieux de ce trouble intestin,
Et si c’est votre sort, ce n’est pas son destin.
Non qu’enfin sa vertu vous regarde en coupable :