Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

De sa place en mon lit faire votre conquête ;
Je me verrai toujours vous placer en son rang,
Et baiser votre main fumante de son sang.
Mon ombre même un jour dans les royaumes sombres
Ne recevra des dieux pour bourreaux que vos ombres ;
Et sa confusion l’offrant à toutes deux,
Elle aura pour tourments tout ce qui fit mes feux.
Oracles décevants, qu’osiez-vous me prédire ?
Si sur notre avenir vos dieux ont quelque empire,
Quelle indigne pitié divise leur courroux ?
Ce qu’elle épargne au fils retombe sur l’époux ;
Et comme si leur haine, impuissante ou timide,
N’osait le faire ensemble inceste et parricide,
Elle partage à deux un sort si peu commun,
Afin de me donner deux coupables pour un.


Œdipe.

Ô partage inégal de ce courroux céleste !
Je suis le parricide, et ce fils est l’inceste.
Mais mon crime est entier, et le sien imparfait ;
Le sien n’est qu’en désirs, et le mien en effet.
Ainsi, quelques raisons qui puissent me défendre,
La veuve de Laïus ne saurait les entendre ;
Et les plus beaux exploits passent pour trahisons,
Alors qu’il faut du sang, et non pas des raisons.


Jocaste.

Ah ! Je n’en vois que trop qui me déchirent l’âme.
La veuve de Laïus est toujours votre femme,
Et n’oppose que trop, pour vous justifier,
À la moitié du mort celle du meurtrier.
Pour toute autre que moi votre erreur est sans crime,
Toute autre admirerait votre bras magnanime,
Et toute autre, réduite à punir votre erreur,
La punirait du moins sans trouble et sans horreur.
Mais, hélas ! Mon devoir aux deux partis m’attache :