Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/301

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Savez-vous les raisons dont il se peut défendre ?
Il m’en a dit quelqu’une, et je ne puis nier,
Non pas qu’elle suffise à le justifier,
Il est trop criminel, mais que du moins son crime 740
N’est pas du tout si noir qu’il l’est dans votre estime ;
Et si vous la saviez, peut-être à votre tour
Vous trouveriez moins lieu d’accuser son amour.

Médée.

Quoi ? ce lâche tantôt ne m’a pas regardée ;
Il n’a montré qu’orgueil, que mépris pour Médée, 745
Et je pourrois encor l’entendre discourir !

Jason.

Le discours siéroit mal à qui cherche à mourir.
J’ai mérité la mort si j’ai pu vous déplaire ;
Mais cessez contre moi d’armer votre colère :
Vos taureaux, vos dragons sont ici superflus ; 750
Dites-moi seulement que vous ne m’aimez plus :
Ces deux mots suffiront[1] pour réduire en poussière…

Médée.

Va, quand il me plaira, j’en sais bien la manière ;
Et si ma bouche encor n’en fulmine l’arrêt,
Rends grâces à ma sœur qui prend ton intérêt. 755
Par quel art, par quel charme as-tu pu la séduire,
Elle qui ne cherchoit tantôt qu’à te détruire ?
D’où vient que mon cœur même à demi révolté
Semble vouloir s’entendre avec ta lâcheté,
Et de tes actions favorable interprète, 760
Ne te peint à mes yeux que tel qu’il te souhaite ?
Par quelle illusion lui fais-tu cette loi ?
Serois-tu dans mon art plus grand maître que moi ?
Tu mets dans tous mes sens le trouble et le divorce :

  1. L’édition de 1692 donne, mais c’est sans doute une faute, serviront, au lieu de suffiront.