Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/318

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Sitôt qu’il est banni, rentre par la pitié ;
Et que ce même feu, que je devrois éteindre,
M’oblige à vous haïr, et me force à vous plaindre.
Je ne t’empêche pas, volage, de changer ; 1130
Mais du moins, en changeant, laisse-moi me venger.
C’est être trop cruel, c’est trop croître l’offense
Que m’ôter à la fois ton cœur et ma vengeance.
Le supplice où tu cours la va trop tôt finir.
Ce n’est pas me venger, ce n’est que te punir ; 1135
Et toute sa rigueur n’a rien qui me soulage,
S’il n’est de mon souhait et le choix et l’ouvragre.
Hélas ! si tu pouvois le laisser à mon choix,
Ton supplice, il seroit de rentrer sous mes lois,
De m’attacher à toi d’une chaîne plus forte, 1140
Et de prendre en ta main le sceptre que je porte.
Tu n’as qu’a dire un mot, ton crime est effacé :
J’ai déjà, si tu veux, oublié le passé.
Mais qu’inutilement je me montre si bonne
Quand tu cours à la mort de peur qu’on te pardonne ! 1145
Quoi ? tu ne réponds rien, et mes plaintes en l’air
N’ont rien d’assez puissant pour te faire parler ?

Jason.

Que voulez-vous. Madame, ici que je vous die ?
Je ne connois que trop quelle est ma perfidie ;
Et l’état où je suis ne sauroit consentir 1150
Que j’en fasse une excuse, ou montre un repentir :
Après ce que j’ai fait, après ce qui se passe,
Tout ce que je dirois auroit mauvaise grâce.
Laissez dans le silence un coupable obstiné,
Qui se plaît dans son crime, et n’en est point gêné. 1155

Hypsipyle.

Parle toutefois, parle, et non plus pour me plaire,
Mais pour rendre la force à ma juste colère ;
Parle, pour m’arracher ces tendres sentiments