J’envisage à quels maux expose[1] un inconstant :
L’amour tremble à regret dans mon esprit flottant ;
Et timide à l’aimer, je meurs d’en être aimée.
Ainsi j’adore et crains son manquement de foi ;
Je m’offre et me refuse à ce que je prévoi :
Son change me plaît et m’étonne.
Dans l’espoir le plus doux j’ai tout à soupçonner ;
Et bien que tout mon cœur obstinément se donne,
Ma raison n’ose me donner.
Silence, raison importune ;
Est-il temps de parler quand mon cœur s’est donné ?
Du bien que tu lui veux ce lâche est si gêné,
Que ton meilleur avis lui tient lieu d’infortune.
Ce que tu mets d’obstacle à ses désirs mutins
Anime leur révolte et le livre aux destins,
Contre qui tu prends sa défense :
Ton effort odieux ne sert qu’à les hâter ;
Et ton cruel secours lui porte par avance
Tous les maux qu’il doit redouter.
Parle toutefois pour sa gloire ;
Donne encor quelques lois à qui te fait la loi :
Tyrannise un tyran qui triomphe de toi,
Et par un faux trophée usurpe sa victoire.
S’il est vrai que l’amour te vole tout mon cœur,
Exile de mes yeux cet insolent vainqueur,
Dérobe-lui tout mon visage :
Et si mon âme cède à mes feux trop ardents[2],
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/333
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.