Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/340

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Je n’examine point, après votre menace,
Quelle foule d’amants brigue chez vous ma place. 1685
Cent rois, si vous voulez, vous consacrent leurs vœux ;
Je le crois ; mais aussi je suis roi si je veux ;
Et je n’avance rien touchant le diadème
Dont il faille chercher de témoins que vous-même.
Si par le choix d’un roi vous pouvez me punir, 1690
Je puis vous imiter, je puis vous prévenir ;
Et si je me bannis par là de ma patrie,
Un exil couronné peut faire aimer la vie.
Mille autres en ma place, au lieu de s’alarmer…

Médée.

Eh bien ! je t’aimerai, s’il ne faut que t’aimer : 1695
Malgré tous ces héros, malgré tous ces monarques,
Qui m’ont de leur amour donné d’illustres marques,
Malgré tout ce qu’ils ont et de cœur et de foi,
Je te préfère à tous, si tu ne veux que moi.
Fais voir, en renonçant à ta chère patrie, 1700
Qu’un exil avec moi peut faire aimer la vie,
Ose prendre à ce prix le nom de mon époux.

Jason.

Oui, Madame, à ce prix tout exil m’est trop doux ;
Mais je veux être aimé, je veux pouvoir le croire ;
Et vous ne m’aimez pas, si vous n’aimez ma gloire. 1705
L’ordre de mon destin l’attache à la toison :
C’est d’elle que dépend tout l’honneur de Jason.
Ah ! si le ciel l’eût mise au pouvoir d’Hypsipyle,
Que j’en aurois trouvé la conquête facile !
Ma passion pour vous a beau l’abandonner, 1710
Elle m’offre encor tout ce qu’elle peut donner ;
Malgré mon inconstance, elle aime sans réserve.

Médée.

Et moi, je n’aime point, à moins que je te serve ?
Cherche un autre prétexte à lui rendre ta foi ;