Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous leur pied téméraire il ouvre un noir abîme,
À moins qu’on n’ait déjà mis au joug nos taureaux,
Et fait mordre la terre aux escadrons nouveaux
Que des dents d’un serpent la semence animée 1790
Doit opposer sur l’heure à qui l’aura semée :
Sa voix perdant alors cet effroyable éclat,
Contre les ravisseurs le réduit au combat.
Telles furent les lois que Circé par ses charmes
Sut faire à ce dragon, aux taureaux, aux gensdarmes. 1795
Circé, sœur de mon père, et fille du Soleil,
Circé, de qui ma sœur tient cet art sans pareil
Dont tantôt à vous perdre eût abusé sa rage,
Si ce peu que du ciel j’en eus pour mon partage,
Et que je vous consacre aussi bien que mes jours, 1800
Par le milieu des airs n’eût porté du secours.

Hypsipyle.

Je n’oublierai jamais que sa jalouse envie
Se fût sans vos bontés sacrifié ma vie ;
Et pour dire encor plus, ce penser m’est si doux,
Que si j’étois à moi, je voudrois être à vous. 1805
Mais un reste d’amour retient dans l’impuissance
Ces sentiments d’estime et de reconnoissance.
J’ai peine, je l’avoue, à me le pardonner ;
Mais enfin je dois tout, et n’ai rien à donner.
Ce qu’à vos yeux surpris Jason m’a fait d’outrage 1810
N’a pas encor rompu cette foi qui m’engage ;
Et malgré les mépris qu’il en montre aujourd’hui,
Tant qu’il peut être à moi, je suis encore à lui.
Mon espoir chancelant dans mon âme inquiète
Ne veut pas lui prêter l’exemple qu’il souhaite, 1815
Ni que cet infidèle ait de quoi se vanter
Qu’il ne se donne ailleurs qu’afin de m’imiter.
Pour changer avec gloire il faut qu’il me prévienne,
Que sa foi violée ait dégagé la mienne,