Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/354

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Avant que je me daigne enrichir de vos restes.

Hypsipyle.

Puissiez-vous conserver ces nobles sentiments ! 2020

Médée.

N’en croyez plus, Seigneur, que les événements.
Ce ne sont plus ici ces taureaux, ces gensdarmes
Contre qui son audace a pu trouver des charmes :
Ce n’est point le dragon dont il est menacé ;
C’est Médée elle-même, et tout l’art de Circé. 2025
Fidèle gardien des destins de ton maître,
Arbre, que tout exprès mon charme avoit fait naître,
Tu nous défendrois mal contre ceux de Jason ;
Retourne en ton néant, et rends-moi la toison.

(Elle prend la toison en sa main, et la met sur le col du dragon. L’arbre où elle étoit suspendue disparoît, et se retire derrière le théâtre, après quoi Médée continue en parlant à Jason.)

Ce n’est qu’avec le jour qu’elle peut m’être ôtée. 2030
Viens donc, viens, téméraire, elle est à ta portée ;
Viens teindre de mon sang cet or qui t’est si cher,
Qu’à travers tant de mers on te force à chercher.
Approche, il n’est plus temps que l’amour te retienne :
Viens m’arracher la vie, ou m’apporter la tienne ; 2035
Et sans perdre un moment en de vains entretiens,
Voyons qui peut le plus de tes dieux ou des miens.

Aæte.

À ce digne courroux je reconnois ma fille :
C’est mon sang[1] dans ses yeux, c’est son aïeul qui brille[2] ;
C’est le Soleil mon père. Avancez donc, Jason, 2040

  1. Dans ce passage, Aæte nous rappelle un instant don Diègue :
    Je reconnois mon sang à ce noble courroux.
    (Le Cid, acte I, scène v, vers 264.)
  2. Nous avons ponctué ce vers comme il l’est dans toutes les anciennes impressions, y compris la première de Voltaire (1764). Dans l’édition de Lefèvre, il est coupé ainsi :
    C’est mon sang : dans ses jeux, c’est son aïeul qui brille.