Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/490

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Je sais qu’il peut s’aigrir, quand il voit qu’on le quitte
Par l’estime qu’on prend pour un autre mérite ;
Mais lorsqu’on lui préfère un prince à cheveux gris,
70Ce choix fait sans amour est pour lui sans mépris ;
Et l’ordre ambitieux d’un hymen politique
N’a rien que ne pardonne un courage héroïque :
Lui-même il s’en console, et trompe sa douleur
À croire que la main n’a point donné le cœur.
75––J’ai donc peu de sujet de craindre Massinisse ;
J’en ai peu de vouloir que la guerre finisse ;
J’espère en la victoire, ou du moins en l’appui
Que son reste d’amour me saura faire en lui ;
Mais le reste du mien, plus fort qu’on ne présume,
80Trouvera dans la paix une prompte amertume ;
Et d’un chagrin secret la sombre et dure loi
M’y fait voir des malheurs qui ne sont que pour moi.

HERMINIE.

J’ai peine à concevoir que le ciel vous envoie
Des sujets de chagrin dans la commune joie,
85Et par quel intérêt un tel reste d’amour
Vous fera des malheurs en ce bienheureux jour.

SOPHONISBE.

Ce reste ne va point à regretter sa perte[1],
Dont je prendrois encor l’occasion offerte ;
Mais il est assez fort pour devenir jaloux
90De celle dont la paix le doit faire l’époux.
Éryxe, ma captive, Éryxe, cette reine
Qui des Gétuliens naquit la souveraine,
Eut aussi bien que moi des yeux pour ses vertus,
Et trouva de la gloire à choisir mon refus.
95 Ce fut pour empêcher ce fâcheux[2] hyménée

  1. Thomas Corneille (1692) et Voltaire (1764) donnent : « ma perte » pour : « sa perte. »
  2. Dans Voltaire (1764) on lit fameux, au lieu de fâcheux.