Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/504

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Mais quand pour me répondre il s’est fait un effort,
410Son compliment au mien n’a point eu de rapport ;
Et j’ai trop vu par là qu’un si profond silence
Attachoit sa pensée ailleurs qu’à ma présence,
Et que l’emportement d’un entretien secret
Sous un front attentif cachoit l’esprit distrait.

Barcée
415Les soins d’un conquérant vous donnent trop d’alarmes.
C’est peu que devant lui Cyrthe ait mis bas les armes,
Qu’elle se soit rendue, et qu’un commun effroi
L’ait fait à tout son peuple accepter pour son roi ;
Il lui faut s’assurer des places et des portes,
420Pour en demeurer maître y poster ses cohortes :
Ce devoir se préfère aux soucis les plus doux ;
Et s’il en étoit quitte, il seroit tout à vous.

Éryxe
Il me l’a dit lui-même alors qu’il m’a quittée ;
Mais j’ai trop vu d’ailleurs son âme inquiétée ;
425Et de quelque couleur que tu couvres ses soins,
Sa nouvelle conquête en occupe le moins.
Sophonisbe, en un mot, et captive et pleurante,
L’emporte sur Éryxe et reine et triomphante ;
Et si je m’en rapporte à l’accueil différent,
430Sa disgrâce peut plus qu’un sceptre qu’on me rend.
––Tu l’as pu remarquer. Du moment qu’il l’a vue,
Ses troubles ont cessé, sa joie est revenue :
Ces charmes à Carthage autrefois adorés
Ont soudain réuni ses regards égarés.
435Tu l’as vue étonnée, et tout ensemble altière,
Lui demander l’honneur d’être sa prisonnière,
Le prier fièrement qu’elle pût en ses mains
Éviter le triomphe et les fers des Romains.