Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/516

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L’esclavage aux grands cœurs n’est point à redouter ;
Alors qu’on sait mourir, on sait tout éviter ;
Mais comme enfin la vie est bonne à quelque chose,
Ma patrie elle-même à ce trépas s’oppose,
725Et m’en désavoueroit, si j’osois me ravir
Les moyens que l’amour m’offre de la servir.
Le bonheur surprenant de cette préférence
M’en donne une assez juste et flatteuse espérance.
Que ne pourrai-je point si, dès qu’il m’a pu voir,
730Mes yeux d’une autre reine ont détruit le pouvoir !
Tu l’as vu comme moi, qu’aucun retour vers elle
N’a montré qu’avec peine il lui fût infidèle :
Il ne l’a point nommée, et pas même un soupir
N’en a fait soupçonner le moindre souvenir.

Herminie
735Ce sont grandes douceurs que le ciel vous renvoie ;
Mais il manque le comble à cet excès de joie,
Dont vous vous sentiriez encor bien mieux saisir,
Si vous voyiez qu’Éryxe en eût du déplaisir.
Elle est indifférente, ou plutôt insensible :
740À vous servir contre elle elle fait son possible.
Quand vous prenez plaisir à troubler son discours,
Elle en prend à laisser au vôtre un libre cours ;
Et ce héros enfin que votre soin obsède
Semble ne vous offrir que ce qu’elle vous cède.
745Je voudrois qu’elle vît un peu plus son malheur,
Qu’elle en fît hautement éclater la douleur ;
Que l’espoir inquiet de se voir son épouse
Jetât un plein désordre en son âme jalouse ;
Que son amour pour lui fût sans bonté pour vous.

Sophonisbe
750Que tu te connois mal en sentiments jaloux !
Alors qu’on l’est si peu qu’on ne pense pas l’être,
On n’y réfléchit point, on laisse tout paroître ;