Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/53

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Par ce désespoir même où son change m’abîme.
445Faites plus : s’il est vrai que je puis tout sur vous,
Ramenez cet ingrat tremblant à mes genoux,
Le repentir au cœur, les pleurs sur le visage,
De tant de lâchetés me faire un plein hommage,
Implorer le pardon qu’il ne mérite pas,
450Et remettre en mes mains sa vie et son trépas.

GARIBALDE.

Ajoutez-y, Madame, encore qu’à vos yeux même
Cette odieuse main perce un cœur qui vous aime,
Et que l’amant fidèle, au volage immolé,
Expie au lieu de lui ce qu’il a violé.
455L’ordre en sera moins rude, et moindre le supplice,
Que celui qu’à mes feux prescrit votre injustice :
Et le trépas en soi n’a rien de rigoureux
À l’égal de vous rendre un rival plus heureux.

ÉDÜIGE.

Duc, vous vous alarmez faute de me connoître :
460Mon cœur n’est pas si bas qu’il puisse aimer un traître.
Je veux qu’il se repente, et se repente en vain,
Rendre haine pour haine, et dédain pour dédain ;
Je veux qu’en vain son âme, esclave de la mienne,
Me demande sa grâce, et jamais ne l’obtienne,
465Qu’il soupire sans fruit ; et pour le punir mieux,
Je veux même à mon tour vous aimer à ses yeux.

GARIBALDE.

Le pourrez-vous, Madame, et savez-vous vos forces ?
Savez-vous de l’amour quelles sont les amorces ?
Savez-vous ce qu’il peut, et qu’un visage aimé
470Est toujours trop aimable à ce qu’il a charmé ?
Si vous ne m’abusez, votre cœur vous abuse.
L’inconstance jamais n’a de mauvaise excuse ;
Et comme l’amour seul fait le ressentiment,
Le moindre repentir obtient grâce à l’amant.