Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/536

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Si je vous fais l’aveu de toute sa foiblesse ?
––Lorsque je vous aimai, j’étois maître de moi ;
Et tant que je le fus, je vous gardai ma foi ;
Mais dès que Sophonisbe avec son hyménée
1190S’empara de mon âme et de ma destinée,
Je suivis de ses yeux le pouvoir absolu,
Et n’ai voulu depuis que ce qu’elle a voulu.
––Que c’est un imbécile et sévère esclavage
Que celui d’un époux sur le penchant de l’âge,
1195Quand sous un front ridé qu’on a droit de haïr
Il croit se faire aimer à force d’obéir !
De ce mourant amour les ardeurs ramassées
Jettent un feu plus vif dans nos veines glacées,
Et pensent racheter l’horreur des cheveux gris
1200Par le présent d’un cœur au dernier point soumis,
Sophonisbe par là devint ma souveraine,
Régla mes amitiés, disposa de ma haine,
M’anima de sa rage, et versa dans mon sein
De toutes ses fureurs l’implacable dessein.
1205Sous ces dehors charmants qui paroient son visage,
C’étoit une Alecton que déchaînoit Carthage :
Elle avoit tout mon cœur, Carthage tout le sien ;
Hors de ses intérêts, elle n’écoutoit rien ;
Et malgré cette paix que vous m’avez offerte,
1210Elle a voulu pour eux me livrer à ma perte.
Vous voyez son ouvrage en ma captivité,
Voyez-en un plus rare en sa déloyauté.
––Vous trouverez, Seigneur, cette même furie
Qui seule m’a perdu pour l’avoir trop chérie ;
1215Vous la trouverez, dis-je, au lit d’un autre roi,
Qu’elle saura séduire et perdre comme moi.