Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ÉDÜIGE.

475Quoi qu’il puisse arriver, donnez-vous cette gloire
D’avoir sur cet ingrat rétabli ma victoire ;
Sans songer qu’à me plaire exécutez mes lois,
Et pour l’événement laissez tout à mon choix :
Souffrez qu’en liberté je l’aime ou le néglige.
480L’amant est trop payé quand son service oblige ;
Et quiconque en aimant aspire à d’autres prix
N’a qu’un amour servile et digne de mépris.
Le véritable amour jamais n’est mercenaire,
Il n’est jamais souillé de l’espoir du salaire,
485Il ne veut que servir, et n’a point d’intérêt
Qu’il n’immole à celui de l’objet qui lui plaît.
Voyez donc Grimoald, tâchez à le réduire :
Faites-moi triompher au hasard de vous nuire ;
Et si je prends pour lui des sentiments plus doux,
490Vous m’aurez faite heureuse, et c’est assez pour vous.
Je verrai par l’effort de votre obéissance
Où doit aller celui de ma reconnoissance.
Cependant, s’il est vrai que j’ai pu vous charmer,
Aimez-moi plus que vous, ou cessez de m’aimer :
495C’est par là seulement qu’on mérite Édüige.
Je veux bien qu’on espère, et non pas qu’on exige.
Je ne veux rien devoir ; mais lorsqu’on me sert bien,
On peut attendre tout de qui ne promet rien.


Scène II.

GARIBALDE.

Quelle confusion ! et quelle tyrannie
500M’ordonne d’espérer ce qu’elle me dénie !
Et de quelle façon est-ce écouter des vœux,
Qu’obliger un amant à travailler contre eux ?