Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/616

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Et notre indépendance iroit au dernier point,
Si l’heureux Vinius ne la partageoit point :
Notre unique chagrin est qu’il nous la dispute.
630L’âge met cependant Galba près de sa chute ;
De peur qu’il nous entraîne, il faut un autre appui ;
Mais il le faut pour nous aussi foible que lui.
Il nous en faut prendre un qui satisfait des titres,
Nous laisse du pouvoir les suprêmes arbitres.
635Pison a l’âme simple et l’esprit abattu ;
S’il a grande naissance, il a peu de vertu :
Non de cette vertu qui déteste le crime ;
Sa probité sévère est digne qu’on l’estime[1] ;
Elle a tout ce qui fait un grand homme de bien ;
640Mais en un souverain c’est peu de chose, ou rien.
Il faut de la prudence, il faut de la lumière,
Il faut de la vigueur adroite autant que fière[2],
Qui pénètre, éblouisse, et sème des appas…
Il faut mille vertus enfin qu’il n’aura pas.
645Lui-même il nous priera d’avoir soin de l’empire,
En saura seulement ce qu’il nous plaira[3] dire :
Plus nous l’y tiendrons bas, plus il nous mettra haut ;
Et c’est là justement le maître qu’il nous faut.

MARTIAN.

Mais, Seigneur, sur le trône élever un tel homme,
650C’est mal servir l’État, et faire opprobre à Rome.

LACUS.

Et qu’importe à tous deux de Rome et de l’État ?
Qu’importe qu’on leur voie ou plus ou moins d’éclat ?

  1. « À bien juger Pison, son humeur était sévère ; elle semblait dure à des yeux prévenus. » Piso… æstimatione recta severus, deterius interpretantibus tristior habebatur. (Tacite, Histoires, livre I, chapitre xiv.)
  2. Var. Il faut une vigueur adroite autant que fière. (1665-68).
  3. Les éditions de 1666, de 1668 et de 1682 portent : « ce qu’il vous plaira, » pour « ce qu’il nous plaira. »