Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/64

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Par eux seuls j’ai paru digne du diadème,
Par eux seuls je vous vois, par eux seuls je vous aime,
Et par eux seuls enfin mon amour tout parfait
Ose faire pour vous ce qu’on n’a jamais fait.

RODELINDE.

715Tu ne fais que pour toi, s’il t’en faut récompense ;
Et je te dis encore que toute ta vaillance,
T’ayant fait vers moi seule à jamais criminel,
A mis entre nous deux un obstacle éternel.
Garde donc ta conquête, et me laisse ma gloire ;
720Respecte d’un époux et l’ombre et la mémoire :
Tu l’as chassé du trône et non pas de mon cœur.

GRIMOALD.

Unulphe, c’est donc là toute cette douceur !
C’est là comme son âme, enfin plus raisonnable,
Semble avoir dépouillé cet orgueil indomptable !

GARIBALDE.

725Seigneur, souvenez-vous qu’il est temps de parler.

GRIMOALD.

Oui, l’affront est trop grand pour le dissimuler :
Elle en sera punie, et puisqu’on me méprise,
Je deviendrai tyran de qui me tyrannise,
Et ne souffrirai plus qu’une indigne fierté
730Se joue impunément de mon trop de bonté.

RODELINDE.

Eh bien ! deviens tyran : renonce à ton estime ;
Renonce au nom de juste, au nom de magnanime…

GRIMOALD.

La vengeance est plus douce enfin que ces vains noms ;
S’ils me font malheureux, à quoi me sont-ils bons ?
735Je me ferai justice en domptant qui me brave.
Qui ne veut point régner mérite d’être esclave.
Allez, sans irriter plus longtemps mon courroux[1],

  1. Var. Allez, sans davantage irriter mon courroux. (1653-56)