Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/96

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Quand je vous ai cru mort, et qu’un si grand vainqueur,
Sa conquête à mes pieds, m’a demandé mon cœur,
Quand toute autre en ma place eût peut-être fait gloire
De cet hommage entier de toute sa victoire…

PERTHARITE.

Je sais que vous avez dignement combattu :
Le ciel va couronner aussi votre vertu ;
Il va vous affranchir de cette inquiétude
1440Que pouvoit de ma mort former l’incertitude,
Et vous mettre sans trouble en pleine liberté
De monter au plus haut de la félicité[1].

  1. Var. [De monter au plus haut de la félicité.]
    Je le vois sans regret, et j’y cours sans murmure.
    Vous m’avez la première accusé d’imposture :
    Votre amant vous en croit, et ce n’est qu’après vous
    Qu’il prononce l’arrêt d’un malheureux époux.
    ROD. Quoi ? j’aurois pu t’aimer, j’aurois pu te connoître,
    Te voyant accepter mon tyran pour ton maître !
    Qui peut céder un trône à son usurpateur,
    S’il se dit encor roi, n’est qu’un lâche imposteur ;
    Et j’en désavouerois mille fois ton visage,
    Si tu n’avois changé de cœur et de langage.
    Mais puisqu’enfin le ciel daigne t’inspirer mieux,
    Que d’autres sentiments me donnent d’autres yeux…
    PERTH. Vous me reconnoissez quand j’achève de vivre,
    Et que de mes malheurs ce tyran vous délivre.
    ROD. Ah ! Seigneur. PERTH. Ah ! Madame, étoit-ce lâcheté
    De lui céder pour vous un droit qui m’est resté ?
    J’aurois plus fait encore, et vous voyant captive,
    J’aurois même cédé la puissance effective,
    Et pour vous racheter je serois descendu
    D’un trône encor plus haut que celui qui m’est dû.
    Ne vous figurez plus qu’un mari qui vous aime,
    Vous voyant dans les fers, soit maître de soi-même,
    Ce généreux vainqueur, à vos pieds abattu,
    Renonce bien pour vous à toute sa vertu.
    [D’un conquérant si grand et d’un héros si rare]
    Vous en faites vous seule un tyran, un barbare ;
    [Il l’est, mais seulement pour vaincre vos refus.
    Soyez à lui, Madame, il ne le sera plus ;]
    Vous lui rendrez sa gloire, et vous verrez finie
    Avecque vos mépris toute sa tyrannie.
    Ainsi de votre amour le souverain bonheur
    Coûte au vaincu la vie, au conquérant l’honneur ;
    Mais je tiens cette vie heureusement perdue,
    Puisque… (1653-56)