Alcidon
Suive qui le voudra ce procédé nouveau :
Mon feu me déplairait caché sous ce rideau.
Ne parler point d’amour ! Pour moi, je me défie
Des fantasques raisons de ta philosophie :
Ce n’est pas là mon jeu. Le joli passe-temps
D’être auprès d’une dame et causer du beau temps,
Lui jurer que Paris est toujours plein de fange,
Qu’un certain parfumeur vend de fort bonne eau d’ange,
Qu’un cavalier regarde un autre de travers,
Que dans la comédie on dit d’assez bons vers,
Qu’Aglante avec Philis dans un mois se marie !
Change, pauvre abusé, change de batterie,
Conte ce qui te mène, et ne t’amuse pas
À perdre innocemment tes discours et tes pas.
Philiste
Je les aurais perdus auprès de ma maîtresse,
Si je n’eusse employé que la commune adresse,
Puisqu’inégal de biens et de condition,
Je ne pouvais prétendre à son affection.
Alcidon
Mais si tu ne les perds, je le tiens à miracle,
Puisqu’ainsi ton amour rencontre un double obstacle,
Et que ton froid silence et l’inégalité
S’opposent tout ensemble à ta témérité.
Philiste
Crois que de la façon dont j’ai su me conduire
Mon silence n’est pas en état de me nuire :
Mille petits devoirs ont tant parlé pour moi,
Qu’il ne m’est plus permis de douter de sa foi.
Mes soupirs et les siens font un secret langage
Par où son cœur au mien à tous moments s’engage :
Des coups d’œil languissants, des souris ajustés,
Des penchements de tête à demi concertés,
Et mille autres douceurs, aux seuls amants connues,
Nous font voir chaque jour nos âmes toutes nues,
Nous sont de bons garants d’un feu qui chaque jour…
Alcidon
Tout cela, cependant, sans lui parler d’amour ?
Philiste
Sans lui parler d’amour.
Alcidon
J’estime ta science ;
Mais j’aurais à l’épreuve un peu d’impatience.
Philiste
Le ciel, qui nous choisit lui-même des partis,
À tes feux et les miens prudemment assortis,
Et comme à ces longueurs t’ayant fait indocile,
Il te donne en ma sœur un naturel facile,
Ainsi pour cette veuve il a su m’enflammer,
Après m’avoir donné par où m’en faire aimer.
Alcidon
Mais il lui faut enfin découvrir ton courage.
Philiste
C’est ce qu’en ma faveur sa nourrice ménage :
Cette vieille subtile a mille inventions
Pour m’avancer au but de mes intentions ;
Elle m’avertira du temps que je dois prendre ;
Le reste une autre fois se pourra mieux apprendre :
Adieu.
Alcidon
La confidence avec un bon ami
Jamais sans l’offenser ne s’exerce à demi.
Philiste
Un intérêt d’amour me prescrit ces limites :
Ma maîtresse m’attend pour faire des visites
Où je lui promis hier de lui prêter la main.
Alcidon
Adieu donc, cher Philiste.
Philiste
Adieu, jusqu’à demain.
Scène II
Alcidon, la Nourrice
Alcidon, seul.
Vit-on jamais amant de pareille imprudence
Faire avec son rival entière confidence ?
Simple, apprends que ta sœur n’aura jamais de quoi
Asservir sous ses lois des gens faits comme moi ;
Qu’Alcidon feint pour elle, et brûle pour Clarice.
Ton agente est à moi. N’est-il pas vrai, nourrice ?
La Nourrice
Tu le peux bien jurer.
Alcidon
Et notre ami rival ?
La Nourrice
Si jamais on m’en croit, son affaire ira mal.
Alcidon
Tu lui promets pourtant.
La Nourrice
C’est par où je l’amuse,
Jusqu’à ce que l’effet lui découvre ma ruse.
Alcidon
Je viens de le quitter.
La Nourrice
Eh bien ! que t’a-t-il dit ?
Alcidon
Que tu veux employer pour lui tout ton crédit,
Et que rendant toujours quelque petit service,
Il s’est fait une entrée en l’âme de Clarice.
La Nourrice
Moindre qu’il ne présume. Et toi ?
Alcidon
Je l’ai poussé
À s’enhardir un peu plus que par le passé,