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Après mon hyménée on aura soin du vôtre :
Ce grand effort déjà n’est que trop rigoureux,
Sans y joindre celui de faire un autre heureux.
Souvent un peu de temps fait plus qu’on n’ose attendre.

Ildione

J’oserai plus que vous, seigneur, et sans en prendre ;
Et puisque de son bien chacun peut ordonner,
Votre coeur est à moi, j’oserai le donner ;
Mais je ne le mettrai qu’en la main qu’il souhaite.
Vous, traitez-moi, de grâce, ainsi que je vous traite ;
Et quand ce coup pour vous sera moins rigoureux,
Avant que me donner consultez-en mes voeux.

Attila

Vous aimeriez quelqu’un !

Ildione

Jusqu’à votre hyménée
Mon coeur est au monarque à qui l’on m’a donnée ;
Mais quand par ce grand choix j’en perdrai tout espoir,
J’ai des yeux qui verront ce qu’il me faudra voir.


Scène III


Honorie

Ce grand choix est donc fait, seigneur, et pour le faire
Vous avez à tel point redouté ma colère,
Que vous n’avez pas cru vous en pouvoir sauver
Sans doubler votre garde, et me faire observer ?
Je ne me jugeais pas en ces lieux tant à craindre ;
Et d’un tel attentat j’aurais tort de me plaindre,
Quand je vois que la peur de mes ressentiments
En commence déjà les justes châtiments.

Ildione

Que ces ordres nouveaux ne troublent point votre âme :
C’était moi qu’on craignait, et non pas vous, madame ;
Et ce glorieux choix qui vous met en courroux
Ne tombe pas sur moi, madame, c’est sur vous.
Il est vrai que sans moi vous n’y pouviez prétendre :
Son coeur, tant qu’il m’eût plu, s’en aurait su défendre ;
Il était tout à moi. Ne vous alarmez pas
D’apprendre qu’il était au peu que j’ai d’appas.
Je vous en fais un don : recevez-le pour gage
Ou de mes amitiés ou d’un parfait hommage ;
Et forte désormais de vos droits et des miens,
Donnez à ce grand coeur de plus dignes liens.

Honorie

C’est donc de votre main qu’il passe dans la mienne,
Madame, et c’est de vous qu’il faut que je le tienne ?

Ildione

Si vous ne le voulez aujourd’hui de ma main,
Craignez qu’il soit trop tard de le vouloir demain.
Elle l’aimera mieux sans doute de la vôtre,
Seigneur, ou vous ferez ce présent à quelque autre.
Pour lui porter ce coeur que je vous avais pris,
Vous m’avez commandé des refus, des mépris :
Souffrez que des mépris le respect me dispense,
Et voyez pour le reste entière obéissance.
Je vous rends à vous-même, et ne puis rien de plus ;
Et c’est à vous de faire accepter mes refus.



Scène IV


Honorie

Accepter ses refus ! Moi, seigneur ?

Attila

Vous, madame.
Peut-il être honteux de devenir ma femme ?
Et quand on vous assure un si glorieux nom,
Peut-il vous importer qui vous en fait le don ?
Peut-il vous importer par quelle voie arrive
La gloire dont pour vous Ildione se prive ?
Que ce soit son refus, ou que ce soit mon choix,
En marcherez-vous moins sur la tête des rois ?
Mes deux traités de paix m’ont donné deux princesses,
Dont l’une aura ma main, si l’autre eut mes tendresses ;
L’une aura ma grandeur, comme l’autre eut mes voeux :
C’est ainsi qu’Attila se partage à vous deux.
N’en murmurez, madame, ici non plus que l’autre ;
Sa part la satisfait, recevez mieux la vôtre ;
J’en étais idolâtre, et veux vous épouser.
La raison ? C’est ainsi qu’il me plaît d’en user.

Honorie

Et ce n’est pas ainsi qu’il me plaît qu’on en use :
Je cesse d’estimer ce qu’une autre refuse,
Et bien que vos traités vous engagent ma foi,
Le rebut d’Ildione est indigne de moi.
Oui, bien que l’univers ou vous serve ou vous craigne,
Je n’ai que des mépris pour ce qu’elle dédaigne.
Quel honneur est celui d’être votre moitié,
Qu’elle cède par grâce, et m’offre par pitié ?
Je sais ce que le ciel m’a faite au-dessus d’elle,
Et suis plus glorieuse encor qu’elle n’est belle.

Attila

J’adore cet orgueil, il est égal au mien,
Madame ; et nos fiertés se ressemblent si bien,
Que si la ressemblance est par où l’on s’entr’aime,
J’ai lieu de vous aimer comme une autre moi-même.

Honorie

Ah ! Si non plus que vous je n’ai point le coeur bas,
Nos fiertés pour cela ne se ressemblent pas.
La mienne est de princesse, et la vôtre est d’esclave :
Je brave les mépris, vous aimez qu’on vous brave ;
Votre orgueil a son faible, et le mien, toujours fort,
Ne peut souffrir d’amour dans ce peu de rapport.
S’il vient de ressemblance, et que d’illustres flammes