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EXAMEN

ennemis, s’il en sort victorieux. Ce grand éclat même qu’elle laisse faire à son amour après qu’elle le croit mort, est suivi d’une opposition vigoureuse à l’exécution de cette loi qui la donne à son amant, et elle ne se tait qu’après que le roi l’a différée, et lui a laissé lieu d’espérer qu’avec le temps il y pourra survenir quelque obstacle. Je sais bien que le silence passe d’ordinaire pour une marque de consentement ; mais quand les rois parlent, c’en est une de contradiction : on ne manque jamais à leur applaudir quand on entre dans leurs sentiments ; et le seul moyen de leur contredire avec le respect qui leur est dû, c’est de se taire, quand leurs ordres ne sont pas si pressants qu’on ne puisse remettre à s’excuser de leur obéir lorsque le temps en sera venu, et conserver cependant une espérance légitime d’un empêchement, qu’on ne peut encore déterminément prévoir.

Il est vrai que dans ce sujet il faut se contenter de tirer Rodrigue de péril, sans le pousser jusqu’à son mariage avec Chimène. Il est historique, et a plu en son temps ; mais bien sûrement il déplairait au nôtre ; et j’ai peine à voir que Chimène y consente chez l’auteur espagnol, bien qu’il donne plus de trois ans de durée à la comédie qu’il en a faite. Pour ne pas contredire l’histoire, j’ai cru ne me pouvoir dispenser d’en jeter quelque idée, mais avec incertitude de l’effet ; et ce n’était que par là que je pouvais accorder la bienséance du théâtre avec la vérité de l’événement.

Les deux visites que Rodrigue fait à sa maîtresse ont quelque chose qui choque cette bienséance de la part de celle qui les souffre ; la rigueur du devoir voulait qu’elle refusât de lui parler, et s’enfermât dans son cabinet, au lieu de l’écouter ; mais permettez-moi de dire avec un des premiers esprits de notre siècle « que leur conversation est remplie de si beaux sentiments que plusieurs n’ont pas connu ce défaut, et que ceux qui l’ont connu l’ont toléré. » J’irai plus outre, et dirai