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LE CID

que tous presque ont souhaité que ces entretiens se fissent ; et j’ai remarqué aux premières représentations qu’alors que ce malheureux amant se présentait devant elle, il s’élevait un certain frémissement dans l’assemblée, qui marquait une curiosité merveilleuse et un redoublement d’attention pour ce qu’ils avaient à se dire dans un état si pitoyable. Aristote dit qu’il y a des absurdités qu’il faut laisser dans un poème, quand on peut espérer qu’elles seront bien reçues ; et il est du devoir du poète, en ce cas, de les couvrir de tant de brillants qu’elles puissent éblouir. Je laisse au jugement de mes auditeurs si je me suis assez bien acquitté de ce devoir pour justifier par là ces deux scènes. Les pensées de la première des deux sont quelquefois trop spirituelles pour partir de personnes fort affligées ; mais outre que je n’ai fait que la paraphraser de l’espagnol, si nous ne nous permettions quelque chose de plus ingénieux que le cours ordinaire de la passion, nos poèmes ramperaient souvent, et les grandes douleurs ne mettraient dans la bouche de nos acteurs que des exclamations et des hélas. Pour ne déguiser rien, cette offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène, et cette protestation de se laisser tuer par Don Sanche, ne me plairaient pas maintenant. Ces beautés étaient de mise en ce temps-là, et ne le seraient plus en celui-ci. La première est dans l’original espagnol, et l’autre est tirée sur ce modèle. Toutes les deux ont fait leur effet en ma faveur ; mais je ferais scrupule d’en étaler de pareilles à l’avenir sur notre théâtre.

J’ai dit ailleurs ma pensée touchant l’Infante et le Roi ; il reste néanmoins quelque chose à examiner sur la manière dont ce dernier agit, qui ne paraît pas assez vigoureuse, en ce qu’il ne fait pas arrêter le Comte après le soufflet donné, et n’envoie pas des gardes à don Diègue et à son fils. Sur quoi on peut considérer que don Fernand étant le premier roi de Castille, et ceux qui en avaient été maîtres auparavant lui