Page:Corneille - Le Cid, Searles, 1912.djvu/56

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Don Rodrigue

Jeune présomptueux ! Parle sans t’émouvoir.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années.

Le Comte

Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vain,
Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ?

Don Rodrigue

Mes pareils à deux fois ne se font point connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.

Le Comte

Sais-tu bien qui je suis ?

Don Rodrigue

Sais-tu bien qui je suis ? Oui ; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi.
Les palmes dont je vois ta tête si couverte
Semblent porter écrit le destin de ma perte.
J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ;
Mais j’aurai trop de force, ayant assez de cœur.
À qui venge son père il n’est rien d’impossible.
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

Le Comte

Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens,
Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens ;
Et croyant voir en toi l’honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.
Je sais ta passion, et suis ravi de voir
Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir ;
Qu’ils n’ont point affaibli cette ardeur magnanime ;