Page:Corneille - Le Cid, Searles, 1912.djvu/87

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Je ne me repens point de vous avoir servi ;
Mais rendez-moi le bien que ce coup m’a ravi.
Mon bras pour vous venger, armé contre ma flamme,
Par ce coup glorieux m’a privé de mon âme ;
Ne me dites plus rien ; pour vous j’ai tout perdu :
Ce que je vous devais, je vous l’ai bien rendu.

Don Diègue

Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire :
Je t’ai donné la vie, et tu me rends ma gloire ;
Et d’autant que l’honneur m’est plus cher que le jour,
D’autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d’un cœur magnanime éloigne ces faiblesses ;
Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses !
L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir.

Don Rodrigue

Ah ! que me dites-vous ?

Don Diègue

Ah ! que me dites-vous ? Ce que tu dois savoir.

Don Rodrigue

Mon honneur offensé sur moi-même se venge ;
Et vous m’osez pousser à la honte du change !
L’infamie est pareille, et suit également
Le guerrier sans courage et le perfide amant.
À ma fidélité ne faites point d’injure ;
Souffrez-moi généreux sans me rendre parjure :
Mes liens sont trop forts pour être ainsi rompus ;
Ma foi m’engage encor si je n’espère plus ;
Et, ne pouvant quitter ni posséder Chimène,
Le trépas que je cherche est ma plus douce peine.