Page:Corneille - Polyeucte, édition Masson, 1887.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
POLYEUCTE.

Tranche mon espérance aussitôt qu’elle est née ;
Avant qu’offrir des vœux je reçois des refus :
Toujours triste, toujours et honteux et confus
De voir que lâchement elle ait osé renaître,
Qu’encor plus lâchement elle ait osé paroître ;
Et qu’une femme enfin dans la calamité,
Me fasse des leçons de générosité.
Votre belle âme est haute autant que malheureuse,
Mais elle est inhumaine autant que généreuse,
Pauline, et vos douleurs avec trop de rigueur
D’un amant tout à vous tyrannisent le cœur.
C’est donc peu de vous perdre, il faut que je vous donne,
Que je serve un rival lorsqu’il vous abandonne ;
Et que, par un cruel et généreux effort,
Pour vous rendre en ses mains je l’arrache à la mort.

FABIAN.

Laissez à son destin cette ingrate famille ;
Qu’il accorde, s’il veut, le père avec la fille,
Polyeucte et Félix, l’épouse avec l’époux.
D’un si cruel effort quel prix espérez-vous ?

SÉVÈRE.

La gloire de montrer à cette âme si belle
Que Sévère l’égale, et qu’il est digne d’elle ;
Qu’elle m’était bien due, et que l’ordre des cieux
En me la refusant m’est trop injurieux.

FABIAN.

Sans accuser le sort ni le ciel d’injustice,
Prenez garde au péril qui suit un tel service ;
Vous hasardez beaucoup, seigneur, pensez-y bien.
Quoi ! vous entreprenez de sauver un chrétien !
Pouvez-vous ignorer pour cette secte impie
Quelle est et fut toujours la haine de Décie ?
C’est un crime vers lui si grand, si capital,
Qu’à votre faveur même il peut être fatal.

SÉVÈRE.

Cet avis seroit bon pour quelque âme commune.
S’il tient entre ses mains ma vie et ma fortune,
Je suis encor Sévère ; et tout ce grand pouvoir