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ACTE V, SCÈNE III.

Après avoir deux fois essayé la menace,
Après m’avoir fait voir Néarque dans la mort,
Après avoir tenté l’amour et son effort,
Après m’avoir montré cette soif du baptême,
Pour opposer à Dieu l’intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble ! Ah ! ruses de l’enfer !
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher !
Vos résolutions usent trop de remise ;
Prenez la vôtre enfin, puisque la mienne est prise.
Je n’adore qu’un Dieu, maître de l’univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre, et les enfers ;
Un Dieu qui, nous aimant d’une amour infinie,
Voulut mourir pour nous avec ignominie,
Et qui, par un effort de cet excès d’amour,
Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j’ai tort d’en parler à qui ne peut m’entendre.
Voyez l’aveugle erreur que vous osez défendre :
Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux ;
Vous n’en punissez point qui n’ait son maître aux cieux ;
La prostitution, l’adultère, l’inceste,
Le vol, l’assassinat et tout ce qu’on déteste,
C’est l’exemple qu’à suivre offrent vos immortels.
J’ai profané leur temple, et brisé leurs autels ;
Je le ferois encor, si j’avois à le faire,
Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévère,
Même aux yeux du sénat, aux yeux de l’empereur.

FÉLIX.

Enfin ma bonté cède à ma juste fureur :
Adore-les, ou meurs !

POLYEUCTE.

Adore-les, ou meurs !Je suis chrétien.

FÉLIX.

Adore-les, ou meurs !Je suis chrétien.Impie !
Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie.

POLYEUCTE.

Je suis chrétien.

FÉLIX.

Je suis chrétien.Tu l’es ? Ô cœur trop obstiné !