Page:Corneille - Pulcherie, Luynes, 1673.djvu/25

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J'aime, et depuis dix ans ma flamme et mon silence
Font à mon triste cœur égale violence :
J'écoute la raison, j'en goûte les avis,
Et les mieux écoutés sont le plus mal suivis.
Cent fois en moins d'un jour je guéris et retombe ;
Cent fois je me révolte, et cent fois je succombe :
Tant ce calme forcé, que j'étudie en vain,
Près d'un si rare objet s'évanouit soudain !

'JUSTINE' — Mais pourquoi lui donner vous-même la couronne,
Quand à son cher Léon c'est donner sa personne ?

'MARTIAN' — Apprends que dans un âge usé comme le mien,
Qui n'ose souhaiter ni même accepter rien,
L'amour hors d'intérêt s'attache à ce qu'il aime,
Et n'osant rien pour soi, le sert contre soi-même.

'JUSTINE' — N'ayant rien prétendu, de quoi soupirez-vous ?

'MARTIAN' — Pour ne prétendre rien, on n'est pas moins jaloux ;
Et ces désirs, qu'éteint le déclin de la vie,
N'empêchent pas de voir avec un œil d'envie,
Quand on est d'un mérite à pouvoir faire honneur,
Et qu'il faut qu'un autre âge emporte le bonheur.
Que le moindre retour vers nos belles années
Jette alors d'amertume en nos âmes gênées !
"Que n'ai-je vu le jour quelques lustres plus tard !
Disais-je ; en ses bontés peut-être aurais-je part,
Si le ciel n'opposait auprès de la princesse
À l'excès de l'amour le manque de jeunesse ;
De tant et tant de cœurs qu'il force à l'adorer,
Devais-je être le seul qui ne pût espérer ? "
J'aimais quand j'étais jeune, et ne déplaisais guère :
Quelquefois de soi-même on cherchait à me plaire ;
Je pouvais aspirer au cœur le mieux placé ;
Mais, hélas ! J'étais jeune, et ce temps est passé ;