Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/106

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xcii ETUDE

Ceux qui aiment mal, incapables d'inconstance et de trahison,

mais aussi d'enthousiasme communicatif, sont des amants par- faits, si parfaits qu'une sorte de pitié ironique se mêle à l'admi- ration qu'ils inspirent. Oui, en vérité, on les plaint beaucoup plus qu'on ne les aime. Certains, tels que Célidan et Cléandre, dans la Veuve et dans la Galerie, finissent, il est vrai, par sortir d'affaire : n'ayant pu avoir Clarice et Angélique, ils ont Doris et Phylis, qu'ils ont enlevées par erreur, et se tiennent pour satis- faits dépouser à côté, puisque après tout ils épousent. Mais ils sont aussi des amis parfaits^ de fort honnêtes gens, et leur loyale amitié a droit à une récompense. Près d'eux, que de figures effacées! Que d'amants sacrifiés, depuis les amants tro" discrets, comme le Lysis de la Place Royale, jusqu'aux aœantt malavisés, comme le Clarimond de la Suivante, pauvre naïf qui fait tout dans les formes, et s'imagine que, pour conquérir Daphnis, le plus court chemin, c'est de l'obtenir d'abord de son père!

Ces plaintifs et vertueux soupirants ignorent qu'on réussit mal dans certains rôles, lorsqu'on les prend trop au sérieux. Les meilleurs acteurs ne sont pas toujours ceux qui se livrent tout entiers pour bien duper autrui : il faut commencer par ne pas se duper soi-même. Ce n'est pas que les « jeunes premiers » de Corneille soient de vulgaires dupeurs; mais ils tiennent avant tout à n'être pas dupes. De là, ce ton d'ironie légère qui ne leur messied pas; de là, leurs faciles succès. Florame, dans la Suivante, raillera « le trop de respect » et le « timide silence » des amants ; il se vantera de courtiser toutes les femmes et de n'en aimer aucune; aussi, sera-t-il aimé de Daphnis, qu'il aimera, d'ailleurs. Est-il vrai que Mé'.ite ait été composée uniquement pour y en* cadrer le sonnet de Tircis? On ne sait; mais on voit assez que Tircis est un bel esprit, qui raffine sur le sentiment. A ce point de vue, l'étude de la Galerie du Palais est tout à fait significa- tive : il y a là deux amants, et deux amants heureux, Dorimant et Lysandre. Tous deux sont de fins lettrés, des connaisseurs délicats, Lysandre critique les fadeurs des sonnets et des comé- dies d'amour : il avoue ne point comprendre ceux dont l'élo- quence^ s'emporte trop haut, ce qui ne l'empêche pas d'être amoureux dans les règles, ot de mourir par métaphore; l'ai- mante et coquette Célidée n'est-elle pas faite pour lui? et Dori- mant, si expert aux choses de l'esprit, n'est-il pas prédestiné à

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